La Peste à Merdrignac,
ou comment la population d'un village fut décimée en une année.
Merdrignac au début du XVIIème siècle
Merdrignac est un bourg dont l'existence remonte à la période gallo-romaine. Dès le XVème siècle c'est un lieu de marchés et de foires (donc de passage et de rencontres), et du XVème au XVIIIème siècles les toiles de lin tissées dans la région sont utilisées pour la fabrication des voiles et des sacs. Au XVIIème siècle l'activité principale était une activité de mines et de forges (minerai de fer). Le village lui-même était entouré de beaucoup de hameaux disséminés (des parcelles cultivées de taille moyenne, dans un bocage, entourées de forêts) qui abritaient environ 2/3 de la population de la paroisse, estimée à 2000 habitants environ.
Les épidémies en Bretagne du XVIème au XIXème siècle
A intervalles plus ou moins réguliers, divers fléaux traversent l'existence des individus : les plus meurtriers sont probablement les épidémies (souvent favorisées par la malnutrition chronique ou une vraie disette, ainsi que par des conditions climatiques parfois éprouvantes). Ces épidémies touchent tous les âges, et souvent toutes les couches de la population, anéantissant parfois des villages entiers. Les autres fléaux sont les disettes & famines, et les guerres.
Jusqu'au XVIIIème siècle, la peste est le fléau le plus redouté, le plus meurtrier : les épidémies surviennent par vagues, et lors d'une épidémie un village peut perdre jusqu'au quart de ses habitants. Ainsi on a relevé à Planguenoual 184 morts de la peste en 1584, 79 en 1596, 85 en 1622 (il y avait 18 sépultures par an en moyenne habituellement), une série d'épidémies de peste dans la région du Léon entre 1625 à 1632 (on déplore 246 décès en 1627 à Cleder, et 200 décès entre août 1626 et fin 1627 à Plouescat)… à Merdrignac, on a compté 191 sépultures annotées « mourut de la peste » entre avril 1632 et avril 1633.
A la fin du XVIIIème siècle, les grandes épidémies de peste ont disparu (dernière grande peste en en 1720-1721 à Marseille et en Provence), les principales épidémies sont la dysenterie, les fièvres (paludéennes et apparentées, beaucoup de régions marécageuses existant encore), la variole (ou petite vérole), le typhus, et les affections pulmonaires (dont la tuberculose).
Au XIXème siècle, malgré les progrès de l'hygiène, de l'alimentation et la compréhension des mécanismes de la contagion, on note encore de grandes épidémies, principalement de dysenterie, choléra, typhoïde (à Merdrignac en 1854, une épidémie de dysenterie touche 50 personnes et en tue 10, la même année à Goméné, une épidémie de typhoïde touche 40 personnes et en tue 15). La variole revient périodiquement, mais elle tue moins, grâce aux campagnes de vaccination menées depuis la fin du XVIIIème siècle et surtout sous l'Empire (ainsi à Trémorel en 1870 la variole touche-t-elle 147 personnes, en tue « seulement » 19 ; de même à Mérillac en 1881, 16 morts pour 144 malades).
La Peste Noire, ou peste bubonique
Peste (de pestis, fléau) était le nom donné autrefois à toutes les grandes épidémies, d'où le nom de maladies pestilentielles que l'on donnait alors aux maladies épidémiques. Cependant, dans son sens restrictif, on comprend par peste la maladie épidémique et contagieuse d'une extrême gravité, due au bacille Yersinia pestis, dont le réservoir est le rat, essentiel dans la dissémination de la maladie, par l'intermédiaire de sa puce.
Les signes de la maladie sont ceux de toute infection grave (fièvre élevée, tachycardie, oppression, stupeur, délire…) et, suivant les cas, on constate l'apparition de bubons aux aines et aux aisselles (peste bubonique, la plus fréquente : 90 à 95% des cas), des signes d'inflammation pulmonaire (peste pneumonique, la plus contagieuse, mortelle en 2 à 3 jours) ou des hématomes et hémorragies cutanées (peste noire), parfois tout est réuni dans une septicémie rapidement fatale.
On ne connaissait alors aucun traitement, même si l'incision des bubons (à la lancette ou au fer rouge) sauvait parfois quelques malades. La seule mesure prise (efficace pour ceux qui n'étaient pas atteints) en période d'épidémies était la mise en quarantaine pure et simple !
Avril 1632-avril 1633 : la Peste à Merdrignac
Les registres paroissiaux sont riches d'enseignement, et les traces laissées par les épidémies sont clairement visibles dans les registres des sépultures. C'est en feuilletant ces registres à Merdrignac que j'ai pu noter les sépultures suivantes, toutes annotées en marge par le curé de cette phrase « il (ou elle) se mourut de la peste ». En marge de la sépulture de Jean Marchand, il est noté qu'il fut enterré en dehors de la ville à cause de la contagion : il est probable qu'un cimetière spécial (où les tombes creusées au plus fort de l'épidémie ne devaient plus être individuelles) a été créé à ce moment. Une note marginale, postérieure à l'épidémie, mal visible, semble indiquer que la contagion « dura 320 jours ». Il est à noter que toutes les sépultures sont écrites de la même écriture : le curé semble donc avoir survécu à l'épidémie, à moins que le registre disponible en mairie de Merdrignac soit le double et qu'il ait été écrit à posteriori ?
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